On ne sait pas vous, mais l’année dernière Nicolas et moi (et encore aujourd’hui) avons vu nos fils d’actualité Faceb°°k envahis par des publicités pour « Le livre perdu des plantes médicinales« . Nous étions très curieux du contenu de ce livre au titre lourd de prétentions et promesses : pour nous qui avons suivi des formations en herboristerie et animons une bibliothèque spécialisée sur le sujet, ces connaissances ne nous semblent absolument pas « perdues », d’autant plus en regard du nombre de livres qui paraissent sur le sujet…
Une âme généreuse qui se reconnaîtra nous a offert le livre cette année, qui a ainsi rejoint nos étagères, non sans nous plonger dans une certaine perplexité. Alors, est-ce que ce livre vaut la peine d’être acheté, lu, consulté, est-ce vraiment une bible à posséder à tout prix ?
Cette lecture critique sera un peu particulière car l’objet l’est aussi : on a mené une véritable enquête afin de comprendre ce livre et ce marketing ! Merci d’ailleurs à Robin et Christophe pour leur aide précieuse dans les recherches, qui ont demandé quelques jours de travail.
Nous ne sommes néanmoins pas des enquêteurs, donc notre analyse est susceptible de comporter des imprécisions, voire des erreurs. Nous sommes donc bien ouverts à toute critique constructive !
Nous aborderons dans cette critique les points suivants : la qualité de l’objet en tant que tel, de son contenu, les éditions et auteurs, pour enfin vous rendre notre verdict. C’est Chloé la principale rédactrice, mais Nicolas a participé tout du long – d’où l’écriture en “nous” 😉
Petit disclaimer : afin d’éviter des représailles quant à la publication d’extraits du livre, nous ponctuerons cet article bien bien dense par des photos de nos animaux de compagnie. Autant joindre l’utile à l’agréable…
Le livre
Description générale
Petit point d’attention : nous insérons l’URL du site web par souci de bibliographie, mais on vous déconseille d’ouvrir le lien, ou alors dans une fenêtre de navigation privée, si vous ne voulez pas être envahis de publicités sur vos réseaux sociaux par la suite… Magie des « coockies ».
Le site web officiel francophone (https://www.lesremedesperdus.com/livre/) décrit le livre de la façon suivante :
« Dans Le Livre perdu des plantes médicinales, vous découvrirez un trésor de sagesse de guérison perdue de France qui a résisté à l’épreuve du temps. Au cours des cent dernières années, d’innombrables remèdes ont été transmis de génération en génération, préservant la sagesse et les pouvoirs de guérison de nos ancêtres.«
Ce livre annonce être écrit par deux auteur.ices : Nicole Apelian (Ph D, important), et Claude Davis, des auteurs que nous présenterons plus bas.
Sur la page “boutique” du site web, il est bien mentionné qu’il s’agit de la version française qui est vendue. À l’origine, et on peut le deviner en lisant la présentation des auteurs, il s’agit d’un livre américain, et cela a son importance : c’est déjà un élément contradictoire avec les publicités, qui mettent l’accent sur le savoir traditionnel français qui y serait repris… Il y a certes des similarités avec les plantes, méthodes et connaissances françaises, mais de là à parler du livre comme d’une compilation de savoirs français… C’est légèrement incohérent, de déplacer le contexte de création du livre à ce point. Et un premier red flag pour nous.
À audience élevée, exigences élevées !
Mais que contient ce livre ? Car c’est ça qui est important après tout. Ayons tout de suite en tête un ordre de grandeur, pour justifier notre exigence dans cette critique : on est face à un livre qui touche potentiellement un très grand nombre de personnes ! Des milliers voire millions de clients, si on se fie aux likes des pages (80k en français, 714k en anglais, et 30k likes en moyenne en italien, on a pas énormément cherché les autres langues), sans compter les personnes qui ont été touchées par les nombreuses publicités sans forcément liker leur page… Leur budget publicitaire doit d’ailleurs être énorme.
On sera donc très pointilleux dans notre analyse, en raison de cette audience très élevée, qui comprend nécessairement un public non averti à l’utilisation des plantes.
Structure et graphisme
D’un point de vue strictement graphique, on a vu pire : le livre comprend des photo de plantes et de préparations qui viennent illustrer le texte, surtout les plantes, et heureusement car le texte est peu aéré et dense. Cela se voit surtout dans le sommaire, qui manque de retraits et d’espaces entre les lignes et paragraphes pour que ce soit réellement simple d’utilisation.
De façon assez classique, le livre est structuré de la façon suivante : introduction, sommaires, les méthodes de transformation générales, les monographie de plantes, et un index. Le livre comporte quelques pages blanches à la fin, c’est toujours bienvenu pour annoter nos observations personnelles.
Sommaires au pluriel car il y en a 2, la “table des matières” qui reprend la structure de base et le “guide de référence sur les herbes médicinales” autres qui classe les plantes détaillées par type de maladie soignée. Ce dernier type de sommaire est pratique pour pouvoir appliquer directement ce qu’on lit à nos besoins !
Pour terminer avec cette structure, nos fidèles visiteurs de la bibliothèque savent qu’il manque un truc crucial : une fucking BIBLIOGRAPHIE ! Ce n’est pourtant pas faute de place vu qu’il y a quelques pages blanches à la fin… Ce n’est hélas pas rare dans ce type de livre de vulgarisation, mais tout de même, comment approfondir certains sujets ? Comment savoir d’où sortent les informations nombreuses reprises dans ce livre?
Outre ses propres connaissances sur le sujet, l’absence de source oblige le lecteur à se baser sur le seul argument d’autorité, soit les auteurs eux-mêmes et leurs parcours (c’est d’ailleurs la biographie des auteurs que l’on retrouve dans l’introduction du livre). On détaillera cela plus bas.
Note positive néanmoins, on a apprécié le classement des plantes par biotope : c’est rare, et pourtant le meilleur moyen de vite identifier les plantes autour de soi ou en balade !
Les connaissances transmises
Un nombre impressionnant de “plantes”…
Les plantes répertoriées sont très nombreuses : alors que nous croisons généralement une centaine de plantes, ici le panel de remèdes présentés est très large : 181 (si on a bien compté), et pas des plantes d’ailleurs – les trésors de vos placards y sont repris également, y compris la javel qui a droit au chapitre… un autre red flag ?
Point qui semble positif pour satisfaire notre curiosité intellectuelle, on y retrouve décrites des plantes étrangères à notre pharmacopée nord-européenne : Mahonia, Sauge blanche, Kiwaï, Palmier de Floride, Pomme de mai, Igname sauvage, Coeur de Marie, Yerba Santa… Mais cela dépasse nos connaissances, et donc notre capacité à évaluer si ce qui est repris est réellement traditionnel. Traditionnel de quelle région du monde, et à quelle époque, d’ailleurs ?
On y retrouve également des végétaux peu habituels, comme des plantes ornementales, des mousses, plantes aquatiques et fougères, ainsi que quelques plantes toxiques interdites à l’utilisation domestique chez nous.
Des conseils santé dangereux
La bibliothèque Folia officinalis référence des ouvrages décrivant des plantes hallucinogènes et toxiques. Aujourd’hui réservées à l’usage pharmaceutique exclusivement car leur utilisation nécessite une grande précision impossible à l’échelle des herboristes, elles sont importantes à comprendre pour éviter des confusions et empoisonnements.
Ici, les plantes toxiques décrites le sont de façon assez étrange : d’un côté on décrit longuement leurs vertus médicinales et leur usage traditionnel, de l’autre on décrit leur transformation et leur utilisation, mais de façon trop imprécise pour éviter des empoisonnements… Le tout, on le rappelle, entre les mains d’un public passablement non-averti. On perçoit bien qu’il s’agit à la fois de titiller la fascination du lecteur pour le mystère et l’interdit tout en se dédouanant d’une quelconque responsabilité. Le tout sans décrire les effets de ces empoisonnements, ni les bon réflexes pour se soigner de cet empoisonnement d’ailleurs.
On constate la même chose lorsque des maladies mortelles sont décrites comme pouvant être soignées par les plantes, alors qu’elles ont échoué à prouver leur efficacité : cancers, tumeurs, infarctus, hémorragies internes, etc. Même le VIH a voix au chapitre alors qu’on est loin d’une maladie traditionnelle… Le tout sans répéter qu’il vaut mieux être suivi par des médecins dans ces contextes. Et évidemment avec des dosages approximatifs.
La prévention est souvent invoquée, notamment pour les cancers. Rappelons que la prévention par le recours aux plantes est absolument invérifiable à notre échelle individuelle, alors qu’invoquée très souvent en herboristerie et naturopathie (ainsi que d’autres médecines alternatives). Illustrons cela avec l’histoire du “panneau à girafe” : vous apprenez que les girafes ravagent les arbres, vous décidez alors de mettre un panneau anti-girafe dans votre jardin pour éviter leur venue. Et ça marche : aucune girafe ne vient brouter les feuilles de vos arbres ! C’est donc que le panneau fonctionne ! C’est le contexte et certains facteurs qui expliquent qu’une méthode de prévention fonctionne, et parfois l’outil en question. D’autant qu’à lire tout ce qu’on doit prendre pour prévenir les maladies graves de notre temps, on a bien une centaine de plantes à consommer par jour…
Essayons de comprendre le pourquoi de toutes ces plantes et maladies répertoriées : le livre est américain, un contexte tout particulier où le système « mutuelle » n’existe pas, où la fortune économique ouvre l’accès aux soins de santé..
Il est tentant, lorsque des soins coûtent très cher, de s’auto-médiquer à ses risques et périls 🙁 De même, c’est un pays où la mouvance survivaliste rencontre un grand succès, et on peut bien imaginer, en cas d’apocalypse, qu’utiliser les plantes qu’on a sous la main, alors qu’il n’y a rien d’autre à part la nature sauvage autour de nous, ça a du sens. Mais même avec ces explications, on s’attendrait à beaucoup plus d’astuces de survie et d’autonomie, ce qui n’est pas le cas.
Concernant les plantes les plus accessibles dans leur utilisation, et connues dans nos contrées, sans avoir non plus passé le tout au peigne fin, nous n’avons pas repéré d’erreurs majeures. Le flou qui accompagne leur utilisation laisse néanmoins à désirer. Un tel flou est néanmoins fréquent dans ce type de livre pour éviter d’être attaqué pour exercice illégal de la médecine et/ou de la pharmacie.
Une traduction moyenne
On l’a dit, c’est un livre rédigé initialement en anglais, le passage par une traduction est donc obligé. Or ici, aucune mention du ou de la traducteur.ice…
Nous sommes donc dubitatifs, car la traduction en question laisse franchement à désirer. Certaines expressions, tournures de phrase semblent directement traduites de l’anglais sans travail d’adaptation derrière (“Infusion d’huile” pour les macérâts huileux, ou “magasin d’aliments naturels”, “l’huile commencera à distiller”, une tige “carrément quardangulaire”… par exemple). Il y a aussi un manque d’harmonisation entre les mesures américaines (les ounces “oz” et les quantités en tasses) et les européennes (grammes).
On a même retrouvé ça et là des petites erreurs de traduction, notamment en botanique : la feuille de pulmonaire, par exemple, est décrite comme “brillante” alors que ce n’est pas du tout le cas. Une traduction hasardeuse du mot “bright”, sans doute. Les tiges et racines de la laitue vireuse sont ainsi “recouvertes” d’une sève laiteuse, au lieu d’être remplies. On n’a évidemment pas vérifié plante par plante, et toutes les erreurs ne sont pas fatales évidemment, mais des erreurs de traduction pourraient l’être entre des mains non initiées.
On peut postuler que la traduction a soit été réalisée par un traducteur en ligne, soit via une intelligence artificielle, ou encore un individu peu qualifié, voire un savant mix des 3. En tout cas, c’est mal fait.
Une traduction à la va-vite, brouillon, envers laquelle on ne peut avoir 100% confiance… Ce qui ajoute un point noir supplémentaire à notre analyse. Là encore, quelqu’un d’averti n’aura pas trop de soucis, mais quelqu’un qui désire s’initier à l’usage des plantes via ce livre ?…
Des illustrations insuffisantes pour l’autonomie
Chaque plante ou remède est accompagné d’une photographie, et ça on aime. Par contre, le papier choisi ne leur rend pas vraiment honneur et donne une impression de manque de netteté pour certaines. Et surtout, elles sont insuffisantes pour permettre de reconnaître botaniquement les plantes dans la nature. Ce n’est pas un mal en soi, beaucoup de livres d’herboristerie ne répondent pas à ce critère. Toutefois, la traduction était vraiment de faible qualité, on ne peut pas non plus se reposer par la description de la plante dans le texte…
Un livre de ce type sera à accompagner par l’utilisation d’une flore !
L’objet en tant que tel : un syllabus
C’est un livre de 280 pages environ de format A4, au prix de 36€ pour la version numérique, et 49,99€ pour la version papier, frais de ports compris. De notre expérience, pour en avoir discuté avec une libraire, le prix est élevé pour l’objet en tant que tel : couverture simple cartonnée de type syllabus, un papier de qualité moyenne – pour le même prix on a un ouvrage richement illustré aux finitions soignées, c’est loin d’être le cas ici.
D’autant plus que ce livre est introuvable dans le circuit du livre classique : il n’est disponible qu’en ligne sur leur site web, et en seconde main via celleux qui s’en séparent. Impossible ailleurs, même sur Amaz°n (le livre anglais est disponible, par contre).
En dehors du circuit ; aucun dépôt légal, imprimeur, etc, juste un code barre qui reprend l’isbn, les auteurs que nous présenterons après, et l’éditeur : Global Brother LLC.
Les acteurs
Un éditeur ?
On va clarifier tout de suite la chose : Global Brother n’est pas une maison d’édition au sens classique du terme, mais une entreprise (sources ici et ici).
Basée en Roumanie (à une adresse curieuse), cette société ne vend visiblement que des ouvrages de Nicole Apelian et Claude Davis (parfois d’autres auteurs sont ajoutés mais l’un de deux est d’office présent), et ce uniquement via internet – chaque livre ayant son propre site web de vente dédié pour chaque langue.
Cette entreprise comprend 13 marques déposées, dont une qui nous interpelle : Claude Davis. Curieux, un auteur enregistré comme marque… Et ce depuis 2015, en tant que “standard character mark”, soit un style graphique à ce qu’on peut comprendre (mais nos connaissances en droit des entreprises sont vraiment très faibles).
C’est apparemment le nom de plume d’un certain Claudiu Giurgi, sans doute la personne réelle derrière Claude Davis donc. Un nom qui ne figure dans aucun ouvrage de l’entreprise hormis “The Lost Ways”. En parlant de “The Lost ways”, cet ouvrage fait visiblement l’objet de sérieux doutes également (ici).
Une entreprise par ailleurs lucrative : le site “www.listafirme.ro” indique un bénéfice net de l’entreprise à plus de 8 millions d’€ en 2023, en croissance nette depuis 2020. Sans doute dû à l’intérêt croissant du public pour les médecines alternatives depuis la crise Covid… Un chiffre d’affaires relativement énorme par rapport à une maison d’édition classique qui doit également financer les librairies et certains intermédiaires, on le rappelle. Pour donner un ordre d’idée même imprécis, les éditions Casterman basées à Bruxelles n’ont réalisé que 318 913 € de bénéfices cette même année, et plus d’1 million en 2023 (source), et Gallimard Jeunesse à Paris 34.47 M€ de résultat net en 2021 (source).
Ces faits expliquent partiellement le budget publicitaire démesuré qu’on a supposé au début, en regard du nombre de périodes de sponsorisations et du nombre de publications sur les pages Faceb°°k vendant le livre (parmi d’autres, on le rappelle).
Les auteur.es
Sur notre exemplaire, deux auteur.es sont décrit.es : Nicole Apelian PhD., et Claude Davis. Comme on l’a dit plus haut, l’absence de source mentionnée dans le livre nous envoie directement au seul argument d’autorité des auteurs. Leur parcours est donc crucial pour savoir si on a affaire à des auteurs crédibles.
Ce qui est curieux, c’est que certains remèdes sont décrits en “je” avec beaucoup de récit personnel, d’autres au contraire sont décrites de façon neutres.
Claude Davis / Claudiu Giurgi
On va évacuer tout de suite cet auteur, ou plutôt marque déposée de l’entreprise éditrice : il est décrit sur la 4e de couverture comme :
“Claude Davis est un expert en histoire du Far West et le rédacteur en chef de askaprepper.com. Son objectif principal est de conserver les techniques de survie de nos grands-parents. Il est également l’auteur du livre à succès « The Lost Ways – Saving Our Forefathers’ Skills ». Le but de Claude avec « Le Livre Perdu des Plantes Médicinales » était de refaire découvrir les remèdes les plus efficaces que nous avons perdus dans l’histoire, et de séparer les vrais remèdes de ceux qui n’ont aucun effet.”
Et sur amazon comme :
“Claude Davis est un homme à l’ancienne. Il est fasciné par le passé, lorsque les gens étaient plus sages, en meilleure santé et plus indépendants.
Il croit fermement à l’idée de « pratiquer ce que l’on prêche » et a donc construit lui-même une cabane en rondins où il vit avec sa femme et ses deux enfants.
Cuisiner à l’extérieur sur une flamme nue, fabriquer ses propres vêtements et faire des réserves de conserves maison ne sont que quelques-unes des choses qu’il aime faire.
Il pense que l’enseignement de nos ancêtres peut nous préparer à tout dans la vie.
Après tout, une crise, c’est ce que les gens d’il y a 150 ans appelaient la vie quotidienne : pas d’électricité, pas d’ordinateurs, pas d’internet, pas de supermarchés ni de pharmacies en vue.
Et pourtant, ils s’en sont sortis, sinon nous ne serions pas là.
Claude considère ce mode de vie comme la pierre angulaire qui a façonné l’Amérique d’aujourd’hui et transformé les jeunes gens en adultes endurcis, prêts à affronter tout ce que la vie leur réserve.” (Traduit avec la version gratuite de DeepL.com).
Tout de suite, la vision survivaliste est confirmée.
Sur le site web francophone officiel, aucune mention de Claude Davis-Claudiu Giurgi n’est faite, outre le nom sur la couverture du livre : alors que Nicole Apelian a droit à une page dédiée, agrémentée de nombreuses photos, Claude Davis n’est nulle part, et nous n’avons de photo de lui autre que celle du livre.
Bien qu’auteur d’autres livres de survivalisme en anglais si l’on en croit la boutique en ligne Amazon (“Le Lost Ways”, “The Forager’s Guide to Wild Foods”, “Home Doctor – Practical Medicine for Every Household” et “The Lost SuperFoods: 126+ Survival Foods and Tips for Your Stockpile”), souvent aux côtés de Nicole Apelian, certains doutent même de son existence (https://commonsensehome.com/the-lost-ways-book/).
C’est curieux qu’un auteur au nom roumain se prétende historien expert du far west et publie des livres sur le marché américain au travers d’une entreprise roumaine avec un nom fictif, tout de même.
Dernière petite interrogation en suspens : avec une recherche d’images, on tombe sur un homme survivaliste du nom de Claude D’avis, mais à l’apparence vraiment différente de la photo sur la 4e de couverture : https://www.homedoctorthebook.com/claude-davis/
On y retrouve le même descriptif que sur Amazon.
Nicole Apelian
Nicole Apelian est la réelle caution scientifique (le petit « Ph. D. » toujours accolé à son nom) et super star du livre. Elle est ainsi décrite sur la 4e de couverture :
“Le Dr Nicole Apelian est une herboriste, instructrice en techniques de survie, anthropologue et biologiste. Dans ces pages, elle partage sa profonde connaissance des plantes et ses expériences de première main dans la fabrication de ses propres remèdes à base de plantes qu’elle utilise à la maison et sur le terrain. Elle a été l’une des premières femmes sélectionnées pour l’émission télévisée « Alone » de la chaîne History Channel (USA). Bien qu’atteinte de sclérose en plaques, elle a survécu en solitaire dans une région sauvage éloignée pendant 57 jours d’affilée, avec pour seul bagage son couteau de chasse et les aliments et remèdes sauvages qu’elle y a trouvés.”
La moitié de sa description est dédiée à son passage télé dans une émission survivaliste et le soin héroïque de sa sclérose en plaques. Des ingrédients qui font d’elle une personnalité appréciée et médiatique. Dans l’introduction du livre, il est même mentionné qu’elle a soigné de nombreuses personnes atteintes de cette maladie qui, on le rappelle, est encore considérée par l' »evidence based medicine » comme incurable à ce jour. Avec un tel résultat, il vaudrait peut-être mieux qu’elle communique son protocole aux nombreux chercheurs sur le sujet ; elle passe probablement à coté d’un prix Nobel de médecine !
Impossible de vérifier son cursus entier ; le parcours universitaire aux Etats-Unis étant très permissif sur le type de cours suivi. Nous savons juste que son doctorat en philosophie a été réalisé sur le thème de l’écotourisme au Prescott College, et plus particulièrement sur les tribus San au Bostwana. On est loin de connaissances scientifiques en botanique ou ethnobotanique, a priori, surtout en France…
Le doctorat ne fait pas tout évidemment, on peut aussi s’être construit à force de rencontres et expériences, c’est notre cas aussi à Nicolas et moi. Mais là, le titre de “Ph. D.” est invoqué comme argument d’autorité dès la couverture… Un doctorat, nous le rappelons, dont le thème n’a rien à voir avec le contenu du livre.
Elle est aussi décrite comme “herboriste”, mais aucune précision sur l’endroit ou les personnes qui l’ont formée. Il faut l’avouer, c’est assez trompeur.
Elle possède également un site web dédié à ses activités qui, on peut le dire, sont très nombreuses : blogging, vente de livres, de formations, et, sous le nom de “Nicole’s apothecary”, un commerce de teintures et baumes spagyriques aux Etats-Unis… Là on s’éloigne un peu du survivalisme pour se rapprocher du conflit d’intérêt 🙃 Pratique de vendre un livre qui reprend des remèdes présents dans sa propre boutique (ceux-là mêmes décrits en “je”), des remèdes étiquetés avec l’expression “Doctor Nicole’s”… Cependant, là encore c’est assez peu exceptionnel dans le milieu de l’édition “herboriste”, on va même jusqu’à trouver des noms et codes de produits parfois mentionnés dans certains livres, ce qui n’est pas du tout le cas ici.
Mais tout de même : comment, dans un tel contexte, garantir un conseil objectif et non-intéressé ?
Conclusion
Résumons la situation : nous avons affaire à un livre cher, de qualité somme toute discutable, au contenu peu abordable par des novices et même des avertis, le tout vendu exclusivement en ligne, appuyé par un argument d’autorité démesuré, et un marketing à la limite du supportable. On peut difficilement conseiller l’achat de ce livre.
Un dernier red flag est, par ailleurs, l’absence de toute critique négative du livre sur les seules plateformes où cela pourrait être possible, à savoir leurs pages Faceb°°k. On peut même voir que certaines critiques qui auparavant étaient négatives semblent revenir sur leur décision. Or il existe toujours des mécontents et des déçus : impossible de satisfaire tout le monde.
Rappelons que nous ne sommes pas enquêteurs, juste des herboristes et bibliothécaires bénévoles qui réfléchissons à la qualité des informations que les livres fournissent. Les connaissances de nos traditions sont précieuses et respectables, et peuvent enrichir notre vision du monde, nos connaissances sur la santé, ouvrir des perspectives de soin et d’autonomie selon les situations auxquelles on fait face. Et ce livre est loin de respecter ces valeurs.
L’herboristerie et l’utilisation des plantes médicinales sont loin d’être perdues, contrairement à ce qu’affirme leur campagne marketing : de nombreux acteurs de cette filière, du laboratoire pharmaceutique au paysan, travaillent à rendre l’utilisation des plantes accessible et sécuritaire. Si ce sujet vous intéresse, notre site web regorge d’informations sur le sujet.
De nombreux ouvrages de qualité sortent également chaque année sur ce thème : pour ne pas vous laisser sur votre faim, voici des livres que nous conseillons :
- Pour s’initier :
- “200 plantes qui guérissent: Soignez vos maux par les plantes !” de Carole Minker (2022, 22.95€), nous avions lu la version de 2012 ici
- “La Phytothérapie. Se soigner par les plantes” de Jean Valnet (9.9€)
- “Secrets d’une herboriste. La bible des plantes” de Marie-Antoinette Mulot (28€)
- “Macérats, teintures mères & vinaigres. Extraire le meilleur des plantes” de Sylvie Hampikian (22€)
- “Du bon usage des plantes qui soignent” de Jacques Fleurentin (35€)
- “Guide des contre-indications des principales plantes médicinales” de Michel Dubray (25€)
- “Cueillette buissonnière dans le bocage. Usages des plantes sauvages en Thiérarche – Pays de Chimay” de Hennot Emilie et Puissant Samuel (20€)
- Pour aller plus loin :
- “Grand Manuel de phytothérapie” du docteur Eric Lorrain (99€, 2e édition de novembre 2024 de préférence)
- “L’Officine, ou répertoire général de pharmacie pratique” de François Dorvault, en accès libre sur Gallica (notez que si vous cherchez des connaissances et pratiques perdues ou anciennes, ce site web est une mine d’or)
- Pour les professionnels :
- “Pharmacognosie, Phytochimie, Plantes médicinales” de Jean Bruneton (195€)
- “Plantes thérapeutiques. Tradition, pratique officinale, science et thérapeutique.” de Wichtl Max et Anton Robert (195€)
Le tout à impérativement coupler avec une flore récente et bien imagée afin de pouvoir reconnaître les plantes dans la nature !
Nous tenons néanmoins à remercier infiniment la personne qui nous a fait don de ce livre : jamais nous n’aurions pu en évaluer la pertinence sans l’avoir entre les mains. C’est un exemple précieux de dérive marketing, et à ce titre nous sommes heureux de l’avoir dans notre catalogue.
Petit mot de la fin : faites attention aux commerces en ligne et aux belles promesses. Et de façon absolument subjective : avant d’entreprendre l’achat de livres, venez nous rendre visite et consulter gratuitement plus de 500 ouvrages sur le sujet, que vous pouvez retrouver sur notre catalogue : https://folia-officinalis.be/notre-catalogue/ <3 Des bisous
Merci infiniment pour ce travail et pour cet article hyper intéressant !
Je me doutais bien que la publicité qui nous assomme pour ce livre était « plus catholique que le pape » 🤪
Mais c’est très intéressant d’avoir un retour réel de personnes expérimentées comme vous deux.
Et merci aussi pour les références des ouvrages que vous conseillez pour s’initier et pour aller plus loin 👌
Merci beaucoup pour ce commentaire Nathalie <3 Eh oui là leur marketing est beaucoup trop agressif pour que ce soit honnête : un livre de qualité n'a pas besoin d'un tel forcing.
Dans cette analyse on a été assez loin car "il le valait bien", mais la présence ou non de source, la manière de présenter les auteurs et le contenu, sont des critères qui peuvent mettre la puce à l'oreille de n'importe qui, pour peu de l'avoir entre les mains évidemment... L'impossibilité de l'acheter en librairie alors qu'il prétend reprendre des traditions de nos contrées aussi!
Très heureuse que cette analyse rende service
J’ai apprécié votre analyse .
Ce livre m’a été offert par une amie lors de mon anniversaire .
Ayant suivi quelques formations sur les plantes sauvages et médicinales J’ai bien remarqué les « manques et bizarreries » dans le contenu de cet ouvrage .
Votre critique est bienvenue et me conforte dans mon sentiment que ce livre est une mine de « fric » pour son autrice et non une belle transmission de savoir .
Ah merci d’avoir confirmé avec tes impressions ! C’est vraiment pas une transmission de qualité comme tu le dis, et je trouve qu’il y a un goût de trop peu : soit on assume le survivalisme, et on transmet des informations plus précises et documentées géographiquement sur l’utilisation des plantes, soit on reste dans de la vulgarisation « douce » et on ne met pas aucun de conseils dangereux pour les novices dedans…
Ce livre est un peu le symbole de ce que le capitalisme fait de ces traditions, on est vraiment heureux de le proposer à la lecture au moins pour ça !
Voilà un solide argumentaire pour dissuader le citoyen lambda de dépenser 50€ « pour rien » 😉
Merci 😀 Plus largement, un exemple de « à quoi faire attention quand on achète un livre » aussi 🙂
On espère que cet article servira
Merci pour cette super enquête fouillée ! Et pour les photos de chats 😉
Au plaisir de repasser vous voir à la biblithèque.
Emilie
Merci Emilie, au plaisir de t’accueillir ^^
Merci ! Victime dénuée harcèlement publicitaire, J’allais l’offrir à une amie .
Il ne faut pas s’en vouloir, les prétentions sont si immenses, et les publicités bien ciblées… J’espère qu’au moins on aura donné des pistes pour d’autres idées cadeaux ^^
Merci pour la critique, elle confirme mon intuition.
Merci pour ta lecture <3
Merci pour cette analyse qui confirme mes doutes.
Les algorithmes sont vraiment efficaces, la promo de cet ‘ouvrage’ ne touche pas que moi car toutes les personnes de mon entourage intéressées par le sujet voient aussi cette pub sans arrêt.
Bravo et merci encore.
Au plaisir
Oui le marketing est bien rodé, de notre côté aussi on a vu nos proches recevoir ces publicités ! Très flippant ^^’
Merci pour tes encouragements !