Le « Guide de bonnes pratiques de cueillette de plantes sauvages pour une gestion durable de la ressource » publié par l’Association Française des Professionnels de la Cueillette de plantes sauvages (AFC) en mars 2022 est un véritable ovni que je souhaitais vous présenter avec impatience. Avec l’arrivée des beaux jours et la percée des crocus, la période est idéale !

Un guide disponible à la vente chez nous au prix de 20€ (nous ne tirons aucun bénéfice de cette vente) et disponible gratuitement sur leur site en version pdf (https://www.cueillettes-pro.org/cueillir/le-guide-des-bonnes-pratiques).

Pourquoi dire que c’est un ovni ? Parce que ce qu’’il aborde est au sein des productions éditoriales sur les plantes et leurs usages, et pourtant vraiment primordial pour la survie des plantes ET de la pratique tout simplement…

Si vous avez lu notre critique sur le manuel de phytothérapie écoresponsable (lien) vous le savez, voilà une mise en contexte de la situation avec un extrait de la préface :

“Dans son rapport de 2018, intitulé “Wild at home: exploring the global harvest, trade and use of wild plant ingredients”, l’organisation Traffic a montré que 60 à 90 % des plantes à parfum, aromatiques et médicinales commercialisées dans le monde étaient issues de spécimens sauvages. Elle y décrit un commerce mondialisé représentant des millions de tonnes d’ingrédients végétaux dont le volume a été multiplié par trois depuis 1999. Constat préoccupant : sur les 30 000 espèces connues et documentées pour leurs usages aromatiques et médicinaux dans le monde, seulement 7 % avaient fait l’objet d’une évaluation, parmi lesquelles une sur cinq se trouvait menacée d’extinction à l’état sauvage.”

Olivier THIBAULT, Directeur de l’eau et de la biodiversité, ministère de la Transition écologique

Autres chiffres, partagés sur le site de l’AFC (ici) :

“(…) en 2019, FranceAgriMer évaluait à 142 tonnes la quantité de plantes sauvages cueillies sur le territoire métropolitain par des groupement de producteurs, soit un marché d’environ 2,3 millions d’euros équivalents à 35% de la valeur commerciale totale des PPAM. Au niveau mondial, l’ONU chiffrait la valeur du commerce international des PPAM, pour l’année 2018, à près de 3,3 milliards de dollars, soit une augmentation de près de trois fois sa valeur en 20 ans.”

Vous l’aurez compris je pense : pour vivre et se soigner grâce aux plantes, la ressource sauvage est incontournable, et le travail de l’AFC encore plus, car la demande en plantes sauvages est en croissance exponentielle depuis plusieurs années. Les raisons du succès ? Un attrait de plus en plus important pour les produits “naturels” (des cosmétiques aux produits de santé), couplé à l’envie de nombreuses personnes d’en faire un métier (on plaide un peu coupable, peut-être que vous aussi) :

“La cueillette est une pratique vieille comme l’humanité, c’est l’une des très rares, peut-être la seule, où les gestes d’aujourd’hui sont parfois restés inchangés depuis le paléolithique. Et pourtant, elle semble également d’une étonnante modernité puisqu’elle attire actuellement un nombre croissant de jeunes et de moins jeunes qui souhaitent en faire leur métier à part entière ou, tout du moins, en tirer une partie de leur ressource professionnelle. (…) En quelques décennies, le monde de la cueillette a considérablement évolué. De l’époque où elle représentait une activité confidentielle et anecdotique aux yeux du public et des pouvoirs publics, la cueillette sauvage est devenue, peu à peu, visible médiatiquement et connaît même un essor très important depuis une vingtaine d’années.”

Thierry THÉVENIN Cueilleur professionnel

Or, être cueilleur·se ne s’improvise pas, et le guide explore toutes les facettes du métier / de la pratique avec brio.

Devenir des sentinelles

Résultat de 12 années de travail de réflexion et d’écriture collective au sein de l’AFC, et soutenu par des moyens publics et privés, ce guide est un outil précieux pour quiconque, professionnel comme amateur, souhaite tirer profit (lucratif, thérapeutique et/ou gustatif) de la ressource sauvage. Son objectif est ainsi double : contribuer à la préservation de la biodiversité ET du métier de cueilleur·se, à travers la transmission de méthodes et informations très concrètes sur la collecte des plantes.

Je vois personnellement ce guide comme un appel à dépasser la vision (obsolète et non-pertinente) d’une nature généreuse et abondante, un mode de pensée qui nous éloigne de toute préoccupation de son état : le·la cueilleur·se, le·la glaneur, fait partie intégrante de la nature et devient conscient·e (et responsable) de son impact (impact qui vient s’ajouter au reste de l’impact humain déjà exercé sur le végétal). le·la cueilleur·se devient sentinelle, car iel a tout intérêt, par sensibilité mais aussi par besoin, à préserver la biodiversité, et je trouve cette vision magnifique.

Une petite ombre au tableau néanmoins pour les belges que nous sommes : les références aux lois et réglementations présentes dans ce livre ne valent pas sur notre territoire, où la cueillette est bien plus restrictive – surtout lorsqu’il s’agit d’en faire une source de revenu. Pour cela, on vous renvoie à l’épisode 1 de notre podcast (qui arrive tout bientôt) où l’on aborde ces questions avec précision, ou à notre revue de la réglementation autour des PAM (lien).

Malgré ce petit bémol géographique, ce guide devrait intéresser :

• Les paysan·nes-herboristes qui prélèvent en zone non-cultivée (territoires privés mais sauvages)
• Tout·e naturaliste souhaitant observer un territoire et son évolution
• Tout·e cueilleur·se amateur·ice qui prélève en terrain public ou privé (même le sien) à des fins de cuisine sauvage, glanage de fruits, champignons…
• Tout·e professionnel·le dont l’activité dépend même partiellement de la ressource sauvage (herboristes de comptoir, pharmacien·nes, thérapeutes travaillant avec compléments alimentaires…)

Et cætera !!! (oui ça englobe un paquet de monde le “et cætera”, c’est fait exprès)

Qui est l’AFC ?

Je reprends ici le résumé présent sur la présentation du livre par Tela Botanica (lien) :

”Face à la dégradation généralisée des milieux naturels et à l’augmentation constante de la demande en plantes sauvages de la part des entreprises et des consommateurs, l’AFC a été créée en 2011 par un ensemble de cueilleurs professionnels afin d’alerter, sensibiliser et créer un espace d’échange sur la gestion durable et responsable de cette ressource naturelle partagée.

L’association est ouverte aux cueilleurs professionnels, ainsi qu’à tous les acteurs des filières utilisatrices de plantes sauvages (gestionnaires d’espaces naturels, propriétaires fonciers, centres de formation, chercheurs), et aux passionnés. Sont bienvenus tout ceux qui sont aux prises avec l’accès, la gestion, l’exploitation et l’utilisation de ces ressources végétales sur le territoire métropolitain et qui souhaitent s’engager dans une exploitation durable et responsable de celle-ci.”

Et pour mettre un peu des visages derrière l’AFC, voici une petite présentation vidéo :

En plus du guide, L’AFC propose, pour réaliser ses missions de sensibilisation, fédération, préservation et partages :

• des webinaires thématiques gratuits et ouverts à touts et toutes (https://www.cueillettes-pro.org/se-former/webinaires)
• Des informations et outils, avec notamment des livrets thématiques sur certaines ressources sauvages spécifiques (https://www.cueillettes-pro.org/cueillir/le-guide-des-bonnes-pratiques) et des exemples de documents : https://www.cueillettes-pro.org/cueillir/boite-a-outils
• Un projet d’observatoire national de la ressource sauvage en France
• Des formations à la cueillette durable : https://www.cueillettes-pro.org/se-former/formations-afc

On ne peut que vous inviter à parcourir leur site web, une véritable caverne d’Ali Baba !

Une précision s’impose tout de même : même si l’AFC répertorie ses adhérents et propose une « charte du cueilleur »(ici), elle ne fait pas (encore) office de label qualité. Ne cherchez donc pas leur logo sur vos tisanes et huiles essentielles préférées…

Parlons du livre

Sa structure

Le contenu du Guide de bonnes pratiques se divise en 4 parties :

• Le chapitre 1, où vous trouverez les définitions et le vocabulaire technique, les méthodes de gestion de la ressource – en gros l’étape où l’on décortique toutes les notions indispensables pour une bonne compréhension de la cueillette, ses enjeux et sa complexité ;
• Le chapitre 2, où sont décrites en détail et pas à pas les bonnes pratiques à mettre en place, de la prospection au transport, en passant par la demande d’autorisation et la cueillette proprement dite ;
• Le chapitre 3, qui reprend en vrac différentes fiches méthodes sur une pratique précise comme la taille saine des arbres et arbustes, la juste évaluation du prix, l’étude du sol et sa pollution, etc ;
• Le chapitre 4 où sont développés des focus thématiques, plutôt théoriques ici – ce sont généralement des approfondissements de points vus au 1er chapitre.

Tous ces points sont agrémentés de bandes dessinées et schémas d’illustration, ainsi que de témoignages de professionnel·les de tous bords pour rendre le contenu attrayant (et digeste).

Ce qui est améliorable

Outre le bémol sur l’aspect législatif qui n’est pas adapté à tous les lecteurs francophones, je perçois en effet un autre petit défaut : son graphisme général. Ce guide contient ENORMEMENT d’informations malgré sa petite taille, et il faut dire que l’aspect du livre n’aide pas beaucoup à la bonne assimilation de son contenu : une police d’écriture sans empâtement et petite qui complexifie la lecture, un interligne serré… Tout cela rend le contenu difficile d’accès.
En réalité, ce livre aurait mérité une impression en A4, et/ou de doubler de volume tout en aérant le texte… Des choix qui augmenteraient considérablement son prix. Je pense donc comprendre la logique derrière ces choix, vu la philosophie qui a menée à l’écriture de ce guide.

Notez que les différentes parties se retrouvent en couleur sur la tranche : une bonne manière de se repérer dans un guide, trop souvent oubliée par le secteur éditorial. D’ailleurs notez que le guide est auto-édité (info toujours bonne à prendre pour prendre conscience de l’immensité du travail que ça représente).

Conseil digestif : prendre une petite tisane de menthe poivrée, et s’armer de signets à coller dans vos parties favorites !

Ce qui est trop bien dedans

Tout ?

Ce livre passe tellement de facettes de la cueillette en revue, j’aurais envie de tout citer… Nous sommes loin de la simple consigne “cueillez avec respect” beaucoup trop vague et qui pourtant résume bien ce qui est généralement transmis en formation en herboristerie ou phytothérapie… Sa version la plus concrète étant la “règle du tiers” : on ne devrait cueillir que le tiers des individus sur une station. Si plusieurs personnes passent, ça peut vite venir poser des problèmes à la pérennité de notre ressource ! Pour cueillir avec méthode, il nous faut des instructions plus claires bien que plus complexes, qui prennent en compte les différents acteurs en jeu.

Ce guide vient ainsi répondre à ce besoin, et développe en détail toutes les méthodes et préoccupations des cueilleur·ses pour la pérennité de leur activité – de loisir ou non ; citons en vrac :

• L’identification et l’observation d’un site de cueillette (dont les différents sols)
• Comment tenir un cahier de cueillette (et de traçabilité)
• Comment fixer un juste prix
• Une liste exhaustive du matériel, des contenants pour le transport
• La diversité des filières PAM
• Les parasites et maladies qui doivent nous préoccuper, particulièrement la maladie de Lyme,
• Des descriptions sur le moment de cueillette
• Plein de liens utiles sur les statuts de protection des espèces à échelle internationale (qui nous occupent aussi en tant que belges)
• Des profils types de professions liées à la cueillette
• Des schémas magnifiques

On y rencontre même des exemples de demandes d’autorisation à un·e propriétaire privé, et des focus théoriques sur la botanique et l’évolution des végétaux, pour ne citer que ces éléments…

Conclusion

Ce guide développant tous les thèmes cruciaux pour que chaque cueilleur·se puisse être pleinement responsable de la pérennité de la ressource, et donc pérenniser son activité, on ne peut que conseiller ce livre à quiconque consommant ou vivant des plantes sauvages.

Ce ne sera pas un livre de chevet (quoique), mais plutôt un guide à consulter avant la saison de la cueillette, pendant, et à consulter ponctuellement en fonction des besoins. Aussi, une source d’informations précieuses pour les formateur·ices qui abordent et invitant leurs élèves à la cueillette.

Rappelons-le : pour le public belge, ce guide sera à compléter d’informations sur nos particularismes réglementaires sur la cueillette sauvage, cités plus haut.

Où trouver ce livre ?

Actuellement et à notre connaissance, vous ne pouvez trouver ce livre en version papier et en Belgique que chez nous à Court-Saint-Etienne (et sur notre stand lorsque nous sommes invités à des événements) ! Nous l’achetons à 20€ et le revendons à 20€ : aucun bénéfice ici, mais du pur soutien à leur travail 🙂

Nous espérons néanmoins voir ce livre proposé à plus d’endroits stratégiques (envoyez-nous un petit mail si cela vous intéresse), tant ce qu’il nous transmet est précieux. Comme dit plus haut, le guide est également disponible gratuitement en pdf via ce lien : https://www.cueillettes-pro.org/cueillir/le-guide-des-bonnes-pratiques

Pour aller plus loin dans le travail formidable que réalise l’AFC, n’hésitez pas à devenir membre et/ou leur faire un don : https://www.cueillettes-pro.org/nous-rejoindre

Je n’ai malheureusement rien à vous proposer d’autre sur le même thème de la cueillette, par contre vous pourrez compléter ce guide avec :

• Des flores :
  • “Petite flore de France, Belgique, Luxembourg, Suisse” de Régis Thomas, David Busti et Margarethe Maillart – comporte de belles images comparatives
  • “Guide des plantes sauvages du Benelux” de Ruud van der Meijden , Maarten Strack van Schijndel et Fabienne Van Rossum – aussi richement illustré
  • “Flore écologique de Belgique suivant la classification APG IV” de Anne-Laure Jacquemart et Charlotte Descamps – plus technique
• Des livres sur la cuisine sauvage :
  • « Récolter les jeunes pousses des plantes sauvages comestibles » de Gerard Ducerf
  • « Intérêts nutritionnels des plantes sauvages » de Florence Foucaut
• Des techniques de jardinage (pour cultiver au lieu de prélever en sauvage) :
  • “La Culture des Plantes Aromatiques et Médicinales en Bio” de Wicky Gerbranda
  • “Créer un jardin de plantes médicinales (au jardin et en pots)” de Rudy Beiser

Tous ces ouvrages sont consultables à la bibliothèque 😊 Consultez notre catalogue : https://folia-officinalis.be/notre-catalogue/