Abordons un sujet sensible, mais que nous jugeons nécessaire dans notre pratique herboriste : l’argument d’autorité. Vous verrez qu’il est étroitement lié à un autre thème, le conflit d’intérêts, que nous développerons dans un second article.

Loin de nous l’idée de diaboliser les professionnels du secteur ou de les pointer du doigt : nous sommes tous soumis à un marché économique contraignant, où chacun fait ce qu’il peut pour survivre. Il convient néanmoins de rester transparent sur les dérives possibles de notre secteur, afin de permettre à chacun de faire des choix éclairés.

Pourquoi choisissons-nous les plantes ?

Parmi les motivations qui nous poussent vers les plantes médicinales, il y a souvent le désir de s’éloigner de l’industrie pharmaceutique, ou « Big Pharma ». Cette expression désigne l’ensemble des grands laboratoires, souvent critiqués pour leurs pratiques d’influence sur les médecins, les incitations à la consommation, et bien plus encore. Toutefois, une fois tourné vers les alternatives naturelles, il est facile d’oublier que ce même genre de dynamique existe aussi dans le secteur des plantes et compléments alimentaires

Une anecdote révélatrice

Prenons une situation vécue récemment pour illustrer le rôle de l’argument d’autorité. Nous avons reçu ce message d’un distributeur belge de produits de « santé holistique » :

« Bonjour,
Je me permets de vous contacter aujourd’hui car je suis représentante pour XXX, distributeur belge de nombreux produits de santé holistique. Dans un soucis de faire connaitre des produits de qualité et une alternative à ce qui existe déjà sur le marché belge, nous souhaitons rencontrer les écoles de naturopathie/herboristerie qui forment les professionnels de demain pour simplement diffuser l’information. Au plus d’outils nous aurons, au mieux nous pourrons œuvrer vers une santé holistique et au naturel. »

La phrase qui interpelle est : “rencontrer les écoles de naturopathie/herboristerie qui forment les professionnels de demain pour simplement diffuser l’information”.

Ces écoles forment quel type de professionnels ?

  • Des thérapeutes
  • Des vendeurs

On pourrait citer “des producteurs”, mais vous comprenez bien qu’ici le but n’est pas de contacter de futurs producteurs et artisans, qui sont au contraire des concurrents directs.

En clair, l’objectif est d’entrer en contact avec les élèves, des futurs thérapeutes ou vendeurs de produits naturels de santé afin d’influencer les produits qu’ils recommanderont, en boutique ou en cabinet.

Or les écoles qui les forment représentent des “autorités”.

En quoi l’argument d’autorité influence nos choix ?

L’argument d’autorité repose sur le principe d’attribuer de la crédibilité à une affirmation en fonction de la personne qui la formule, et non de son contenu réel. En d’autres termes, nous avons souvent tendance à accorder notre confiance à des personnes perçues comme « supérieures » en connaissances grâce à son titre : un.e professeur.e dans le cas qui nous occupe, mais aussi un.e auteur.ice, un.e médecin, une célébrité… en somme une “autorité”.

C’est le cas d’un.e professeur.e : en tant qu’élève, nous sommes dans une position passive où nous “recevons” les connaissances de notre professeur.e que nous estimons consciemment ou non supérieur, et nous sommes fortement influencés par lui. Un autre cas de figure est celui de l’auteur.ice : “untel l’a écrit dans un livre donc c’est vrai”.

Nous considérons donc un.e enseignant.e comme une autorité, maintenant imaginez ce qu’il se passe dans nos têtes d’élèves lorsque que celui ou celle-ci cite une marque ou un produit ? Au-delà de nous familiariser avec elle, il ou elle lui donne surtout du crédit. Nous comprenons que cette marque a reçu l’approbation de notre professeur.e, c’est pratique : pas besoin de nous renseigner sur les effets du produit, sur les pratiques du laboratoire, et on se repose sur l’enseignant-e qui l’a fait pour nous.

Influence et marketing dans les écoles de santé naturelle

Les laboratoires de compléments alimentaires ont bien compris que les écoles de naturopathie et d’herboristerie sont des relais d’influence puissants. Si un.e formateur.ice mentionne régulièrement certains produits, ceux-ci bénéficient d’une publicité indirecte et gratuite. Une fois en activité, les jeunes professionnels n’ont que peu de retours d’expérience sur lesquels s’appuyer pour leurs conseils, c’est une question de survie de se reposer sur plus expérimenté que nous, et les marques le savent bien. Il n’y a qu’à voir les événements professionnels de naturopathie, ultra financés par les laboratoires.

Il est donc fréquent que des laboratoires ou leurs distributeurs prennent contact avec des écoles, allant de la simple prise de contact à l’immixtion plus profonde, en occupant parfois des postes de professeur.e.s, en finançant ceux-ci, voire en soutenant financièrement les écoles elles-mêmes.

Ca nous arrive plutôt régulièrement d’être contactés par des distributeurs, car on nous confond avec une herboristerie classique, mais en tant qu’école qui “forment des professionnels”, c’est une première. Et le message sous-entend bien qu’on est pas les seuls à avoir été contactés…

Comment se protéger de cette influence ?

Pour éviter de se laisser influencer, il est essentiel de prendre du recul face aux arguments d’autorité et aux techniques de marketing, même lorsqu’ils proviennent d’écoles ou de formateurs. Le fait qu’un produit soit « naturel » ne garantit pas qu’il soit sans impact économique ou social – c’est au coeur de notre démarche à l’asbl de communiquer autour de ces impacts.

Pour se préserver de ses jeux d’influence, il s’agit pour toutes et tous de prendre du recul face à sa consommation et au marketing mis en place. L’argument du “c’est naturel donc c’est bon” nous rassure, même sous forme de gélules ou de flacon, et on oublie parfois que des commerciaux sont derrière à utiliser cet argument pour nous faire acheter plus que de raison.

Quelques pistes pour les professeur.e.s et professionnel.le.s :

  • Favorisez des critères de qualité plutôt que des marques spécifiques. L’éthique, la durabilité, les preuves d’efficacité des produits sont majeurs pour pérenniser et rendre crédible l’utilisation des plantes. N’oubliez pas le contexte économique et social !
  • Mentionnez plusieurs marques plutôt qu’une seule, pour inciter les élèves à faire leurs propres recherches.

En tant qu’organisme promouvant une utilisation raisonnée des plantes aromatiques et médicinales, nous tenons à vous conscientiser sur les dérives du secteur : il ne s’agit pas de le diaboliser et par effet miroir de promouvoir les firmes pharmaceutiques ! Juste de vous faire prendre conscience que les jeux d’influence qui opèrent dans ce secteur est le même ici (avec peut-être une différence de moyens, quoique) : il est important de maintenir son esprit critique et de l’aiguiser, pour que nos pratiques de santé soient les plus objectives, efficaces et durables possibles.