Introduction

Comme prévu, nous allons aborder dans ce huitième article (déjà !) le sujet des mesures, et plus particulièrement ce qu’il convient de mesurer. Ensuite, nous aurons une mise en pratique sur l’exemple d’une star de l’herboristerie : Passiflora incarnata.

De la mesure en toutes choses

Les questions à se poser quand on pratique les teintures sont liées aux mesures et nous avons déjà abordé celles qui concernent le solvant. Reste à aborder celles du végétal et de ses principes actifs. Quelle est la quantité de principe actif dans ma préparation ? Quelle est la dose journalière minimum active et -éventuellement- quelle sera la dose à ne pas dépasser ?

Évidemment, s’il existe une dose létale, il convient de conditionner le produit dans des flacons qui ne la permettent pas.

Il est nécessaire de recourir à la documentation, évidemment. Mais nous avons également besoin d’outils.

Le tables de mouillage de l’alcool et d’alcoolmétrie sont indispensables pour passer des litres au grammes et inversement : nous allons le voir une fois de plus dans les problèmes pratiques posés ci-après : une teinture officinale à partir d’une quantité de drogue connue pour la Passiflora incarnata, et une teinture mère réalisée à partir d’une quantité d’alcool connue, sur un végétal sauvage et endémique : Allium ursinum.

Une balance et des pots gradués sont nécessaires, une calculette est la bienvenue.

Pour les sources, je vous en ai déjà parlé plus en avant, certes. Mais il s’agit de véritables outils à manipuler et consulter inlassablement. Parfois il s’agit également de les critiquer avec humilité. Nous le verrons dans le cas de Passiflora incarnata

Premièrement, nous utiliserons les ouvrages disponibles chez Folia officinalis. Le Bruneton et le Dubray sont incontournables pour cette pratique.: il s’agit d’identifier les principes actifs, leurs DJMA (et éventuelle dose létale), et les principales contre-indications. Ne pas les consulter lors de la pratique de l’alcoolature est une erreur.

Nous utiliserons également des ressources en ligne. Le Materia medica de Moore est en accès libre, pensons-y. Deux autres sources -bien plus scientifiques- sont accessibles librement et extrêmement riches : le site de l’European Medecines Agency (EMA) et Pubchem. Ces ressources scientifiques nous poussent parfois à réviser l’idée de l’usage populaire. Ici également, il s’agit de le faire en toute humilité, au regard de la juste pratique de la tradition, et à l’éclairage des avancées de la recherche.

J’insiste sur le plus efficace des outils, mais également le plus faillible : notre cerveau. Nous avons probablement toutes et tous l’idéal de l’autoproduction de nos produits de phytothérapie, et cela est louable. Mais entre sous-dosage, effets placebos ou nocebos,, excès, manque de mesures (et donc inconnue de posologie), nous pourrions au mieux être déçus de notre ouvrage, au pire être mis en danger.

Et c’est faire honneur à l’art de l’herboristerie que d’utiliser tous nos outils avec mesure, efficacité, conscience et honnêteté.

Première mise en pratique : Passiflora incarnata.

Je passe chez l’herboriste et j’achète 100 grammes de Passifora incarnata. Le cout est inférieur à 7€, généralement. La qualité est controlée, le pesage est précis.

Dose journalière minimale active. Dubray, 2018.

Il est donc nécessaire d’assimiler, selon Dubray, 2 g. de plante sèche chaque jour. La commission E propose 4 à 8 grammes quotidiens.

Dose létale. Bruneton, 2016.

Il existe une dose létale mesurée chez le rat: par voie orale, 15 g./kilo. Par précaution, on en tiendra compte pour l’usage destiné aux humains. Bruneton (2016) affirme pourtant que « Le recul d’utilisation chez l’humain ne fait apparaitre ni manifestation de toxicité, ni effet indésirable. ». En effet, pour un humain de 75 kg, la DL50 représenterait 1,125 kg administrés en une seule prise. On a de la marge !

La précaution d’emploi la plus sérieuse nous vient de Dubray (2018) : « Certains préconisent de réduire les doses pendant la grossesse ! Jusqu’à 1 g. Il n’y a aucun risque. » Selon moi, vu qu’on est sous la DJMA, il n’y a effectivement aucun risque, mais il n’y a aucune efficacité non plus. Autant se tourner vers d’autres végétaux dans ce cas.

Avec 50 g. de Passiflora incarnata, je peux donc préparer un remède pour 10 jours d’extrait efficace au regard des recommandations de la Commission E. Ou encore 25 jours si l’on vise la DJMA. Or, je dispose de 100 g.. Je vais donc pouvoir composer du produit pour 10 jours en usant de deux procédés d’extraction : une lixiviation premièrement, une macération ensuite.

Bien entendu, on pourrait se contenter d’une macération des 100 g.. Mais il y a possibilité d’optimiser le processus.

Mais quels sont donc les principes actifs que nous allons extraire ? Sont-ils hydrophiles ou lipophiles ? Et dans ce cas quel sera le meilleur solvant pour chaque catégorie de composés ?

Composition chimique,. Bruneton, 2016.

Comme le dit Dubray (2018), Passiflora incarnata contient essentiellement des flavonoïdes et des traces d’alcaloïdes. Bruneton (2016) apporte plus de précisions: les alcaloïdes présents sont de type indoliques toutes trois connues pour leur activité psychique : on les retrouve dans des végétaux tels que l’iboga, l’ayahuasca (qui est un mélange de végétaux) ou encore le Peganum harmala (ces trois plantes sont bannies de la pharmacopée). Même si ces composés sont extrêmement minoritaires, il convient de les considérer dans l’extraction.

Les flavonoïdes sont hydrophiles et les alcaloïdes hydrophobes. L’eau ne sera donc pas le solvant idéal pour cette raison, mais aussi pour la question de la conservation. Bruneton (2016) nous indique que l’extrait « est préparé avec de l’éthanol de 40 % à 90 % […] ». Pour des raisons d’économie, nous pouvons descendre le titre de notre alcool à 40 % (alors que Moore prévoit 50 %).

Et puisque nous allons devoir utiliser de l’eau pour mouiller notre alcool, autant qu’elle soit chargée des flavonoïdes ! Nous allons donc lixivier (percoler) une part de notre végétal avec l’eau de mouillage, pour ensuite macérer une autre part. Nous espérons ainsi extraire l’ensemble des principes actifs avec un maximum d’efficacité et un cout en alcool le plus bas possible.

 Extrait de Herbal Materia Medica, Moore M., 1995.

Le rapport proposé par Moore (1995) est de 1:5 avec une réduction possible vers l’extrait fluide 1:1. L’éventuelle réduction s’opère par évaporation. Pensez à ventiler (ou mieux, travailler sous une hotte efficace) si vous procédez à une évaporation par augmentation de la chaleur. N’utilisez pas de flamme nue et ne fumez pas : le gaz d’éthanol est explosif.

Et maintenant, une part de plante, cinq part d’eau, puis une part de plante, cinq parts d’alcool.

Nous allons donc extraire 50 g. avec 250 g. d’eau par lixiviation, et ensuite macérer 50 g. de plante dans 250 g. d’alcool à  40 %. Le mouillage de l’alcool se fera grâce au percolat. Pour percoler plus lentement, je multiplie les filtres. Je place également un filtre par-dessus la matière à lixivier.

L’utilisation de la table de Gay-Lussac nous indique qu’il faut ajouter 147,22 ml d’eau à 100 ml d’alcool 96% pour obtenir un titre de 40% (et moins de 247,22 ml de liquide).

La table de densité du mélange alcoolique indique que l’alcool à 40% « pèse » 952 g. au litre. 1 g de ce liquide représente donc un volume de 1,05 ml. Les 250 g désirés auront donc un volume de 262,6 ml.

Alcool 40%Volume
952 g1 litre
0,952 g1 ml
1 g1,05 ml
250 g262,6 ml

Comment obtenir 262,6 ml d’alcool à 40 % à partir d’alcool à 96 % et d’eau ?

Simple… 147,22 ml d’eau et 100 ml d’alcool à 96% pèseront ensemble 147,22 g. + 81,245 g = 228,46 g.. Cette quantité est le quintuple de la quantité de plante. Elle couvre donc 45,69 g. de drogue. La règle de trois déclinée nous indique alors que 50 g. de Passiflora incarnata sèche macèreront dans 161,1 ml d’eau (issue de notre percolat) et 109,43 ml d’alcool à 96 %.

Poids de planteEauAlcool 96%Quantité d’alcool 40%
45,69 g147,22 ml100 ml228,46 g.
1 g3,22 ml2,19 ml5 g
50 g161,1 ml109,43 ml250 g

Quand je vous disais que c’était simple…

N’oubliez jamais que seule l’eau pèse 1g pour 1 ml, et que les volumes d’alcool et d’eau ne peuvent pas s’additionner (phénomène de contraction des volumes).

Quelle quantité de ce liquide va-t-elle se montrer active ? Nous l’avons vu, la DJMA est placée à 2g. de plante sèche. Avec une absence de DL50 et une recommandation référencée à 5 g..

Poids de planteVolume d’alcool 40%
50 g.262,6 ml.
1 g.5,25 ml.
2 g.10,5 ml.
5 g.26,25 ml

Pour consommer la DJMA de notre extraction de Passiflora incarnata, nous avons donc besoin de 210 gouttes. C’est à dire deux bonnes cuillers à café. Ce qui est bien plus que proposé par Moore.

Si nous visons la recommandation de la commission E, c’est-à-dire 5 g. de drogue, nous pouvons alors compter 525 gouttes. Ce qui équivaut quasiment à deux petites cuillers à soupe. Gare à l’alcootest…

Note : tout parapluie le sait, il y a gouttes et gouttes. Mais en métrique, on considère qu’une goutte vaut 1/20 ml. Ou encore 0,05 ml.

De ces quelques indications, il convient de tirer des conclusions.

Tout d’abord, le constat que beaucoup de produits vendus sont véritablement sous-dosés.

Dans le cas présent, les quantités quotidiennes d’alcool absorbées pourraient apporter plus d’effets indésirables, surtout à long terme, que les bénéfices apportés par le végétal. Un solide écueil !

Ensuite, il convient de considérer le cout de la réalisation. Notre mélange pour rappel, a un volume de 262,6 ml. Nous en avons pour une dizaine de jours. selon la posologie de la commission E. Environ 7€ de plante, un gros 4,5€ d’alcool. Disons 12€ au total. La volonté de s’autoproduire peut valoir ce cout.

Enfin, ce produit peut servir de base pour une autre transformation : d’un rapport 1:5, il est possible d’évaporer une quantité d’alcool pour en arriver à un rapport 1:1. (262,6 ml. / 5 = 52,5 ml = 10 g.). On peut même envisager une évaporation totale de l’alcool et donc de se retrouver avec un extrait sec de Passiflora incarnata. Cela laisse entrevoir d’autres perspectives.

Et la semaine prochaine ?

Ce sera au tour de Allium urisunum de passer au crible de la méthode et d’une proposition d’usage en alcoolature. Préparez-vous : il y aura de la surprise !

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