Introduction

Cette semaine marque quasiment la fin de notre cycle en dix épisodes consacré aux teintures de végétaux. La semaine dernière, nous avons mis en application notre méthode à une star des plantes séchées en herboristerie : Passiflora incarnata. Cette semaine, c’est au tour d’une vedette de la cueillette : Allium ursinum, l’ail des ours. Dans le cas de Passiflora incarnata, nous étions allé à l’herboristerie pour acheter 100g et nous avons réalisé une teinture officinale avec cette quantité de drogue. Posons le problème différemment pour Allium ursinum : j’ai envie de conserver 500 ml de teinture mère.

La documentation

Quel serait le bon titrage d’alcool pour les principes actifs qu’il possède ? Quelle quantité de végétaux dois-je prélever ? Quelle est la teneur en eau de ces plantes fraiches ?

Ni Moore, ni Bruneton, ni Dorvault n’évoquent Allium ursinum. Dubray (2018) est peu loquace à son sujet, mais il nous met en garde concernant une interaction avec les anticoagulants. Il cite également les constituants notoires : la vitamine C (hydrosoluble) et de l’huile essentielle sulfurée (hydrophobe). Nous allons surtout  viser cette H.E..

Allium ursinum. Dubray, 2018.

La consultation de l’EMA nous offre par contre une documentation abondante concernant Allium ursinum : un condensé et une monographie complète (de 90 pages). Je vous invite à la consulter pour les usages médicinaux. Nous y trouvons d’ailleurs une seconde contre-indication : Allium ursinum n’a pas été établi comme sans danger pour la femme enceinte et allaitante. On évitera donc, dans ce cas, son usage.

EMA, 2017.

L’ail des ours est composé d’un bulbe et de feuilles. L’EMA recommande l’usage des bulbes, alors que traditionnellement nous ne récoltons que les feuilles. Si vous décidez de prélever des bulbes, ne le faites que sur terrain privé, dans le cadre d’une culture contrôlée : le risque de ruiner la survie d’une colonie sauvage est réel. Et comme d’habitude, lors de cueillettes, vérifiez le statut de conservation de l’espèce. Ainsi, Allium ursinum est une espèce protégée en Région bruxelloise, mais pas en Région wallonne.

Et, petite recommandation à laquelle je tiens : lorsque vous partez en cueillettes, emportez deux contenants : l’un pour vos récoltes, l’autre pour les déchets d’humains : vos prochaines sorties n’en seront que plus agréables.

La pratique

Dans la section des préparations galéniques, l’EMA n’évoque qu’une extraction à l’éthanol : un extrait sec issu d’une macération 34% en ratio 5:1.

EMA, 2017.

Ils évoquent également une voie d’extraction méconnue et propres aux bulbes d’alliacées : AGE, Aged Garlic Extract. Il s’agit de laisser les morceaux de bulbes dans le solvant (alcool 40%) durant 10 mois au minimum. Pubmed évoque une extraction  complète en plus de 20 mois.

EMA, 2017.



Nous allons préparer une macération en vue éventuelle de ce processus « extraction, aging, concentration ». Nous utiliserons donc de l’alcool à 40% sans nous soucier de la teneur en eau des bulbes, chère à Dorvault. Ouf ! La recherche de documentation vient de nous épargner de savants calculs. Nous devons désormais juste savoir combien « pèsent » nos 500 ml. d’alcool à 40 %. Le titrage final de 34 % (EMA, 2017) provient, fort probablement, de la présence de l’eau dans les bulbes.

Volume alcool 40 %Poids d’alcool 40%
1000 ml952 g.
1 ml0,952 g.
500 ml476 g.

Le demi-litre d’alcool à 40 % dont je dispose peut donc accueillir 476 * 5 grammes de bulbes d’Allium ursinum. Cela représente près de 2,4 kg ! C’est énorme et cela ne rentrera pas dans la quantité de solvant : c’est prévisible. Il faudra donc travailler autrement : s’adapter. Je propose du 1:1, par exemple, pour ensuite évaporer jusqu’au 5:1. On utilisera dans le cas de ma proposition 476 grammes de bulbes frais coupés fins (sliced) dans 476 grammes d’alcool à 40%.

Vous pourrez ensuite filtrer après expression, et utiliser de suite. Ou bien vous lancer dans le long processus AGE de 10 ou 20 mois et plus pour ensuite préparer un extrait sec. Votre base est fiable et vous savez avec précision quelle quantité de plantes elle contient.

Il convient de tirer des conclusions.

Holà ! Pas si simple !

Les bulbes de Allium ursinum (et les bulbes en général) ont la particularité de proposer de vastes modes d’extraction selon les composants visés. L’extraction hydro-alcoolique est possible, évidemment, mais pas forcément la meilleure, et certainement pas la seule. Une fois de plus, j’insiste sur la possible documentation mise à notre disposition : elle n’est jamais à négliger.

EMA, 2017.

Ensuite, s’adapter est une nécessité dans bien des cas. Parfois la quantité de végétaux est disproportionnée par rapport au solvant, parfois la technique n’est pas optimale, parfois le temps de macération est immense, etc.. Et ces adaptations ne sont pas toujours adéquates non plus : le solvant peut se retrouver saturé avant la fin de la macération, par exemple.

Et la semaine prochaine ?

Dernier épisode annoncé. Il sera temps de conclure, et de cibler 5 erreurs fréquentes lors de la pratique des alcoolatures.